Église St Bruno
Historique :
Avant d’être église paroissiale, l’église St Bruno était celle du monastère des Chartreux ou Chartreuse.
Les moines donnèrent leur nom à la première Chartreuse de Bordeaux fondée en 1383 dans le quartier de la ville près de la Garonne, les Chartrons. En 1608, un riche bordelais, Blaise de Gascq, fit don de tous ses biens à l’ordre des Chartreux en vue de la transférer au milieu du marais dit Marais de Pipas.
Le cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux de 1599 à 1628, s’intéressa particulièrement à la construction de la nouvelle Chartreuse, aidé par la reine Marie de Médicis, la contribution des Jurats de la ville et le Maréchal d’Ornano, maire de Bordeaux de 1599 à 1610.
Le 28 juillet 1611, Henri II de Bourbon, prince de Condé, Gouverneur de Guyenne, pose la 1ère pierre, bénite par le cardinal de Sourdis.
Le premier architecte, Étienne Arnaud, bien connu à Bordeaux, était un maître maçon qui a aussi vérifié les travaux du phare de Cordouan. En 1668, deux autres architectes continuent la construction, Jules Foucray et Nicolas Mérisson.
Le sculpteur était Jean Girouard.
En 1618 le clocher de l’église est achevé. Le 26 mars 1620, le cardinal François de Sourdis la consacre solennellement dans le vocable de Notre Dame de la Miséricorde.
Les bâtiments du couvent étaient construits au sud et à l’est autour de l’église. Près de la Chartreuse s’ouvrait une porte monumentale auprès de laquelle était bâti, l’Hôpital St Charles.
L’espace situé devant la façade donnait accès au parc des Chartreux devenu maintenant le cimetière de la Chartreuse. Le bâtiment du monastère dont les Chartreux furent chassés sous la Révolution, fut pillé en 1790, seule l’église a subsisté. En 1820 Monseigneur d’Aviau, archevêque de Bordeaux la plaça sous le patronage de St Vincent et de St Bruno.
Façade extérieure :
De pur style Renaissance italienne, elle est relativement étroite et s’élève à 21m22 de hauteur.
Cette chapelle, édifiée selon une architecture jésuite dont le modèle rappelle la Maison Mère Jésuite à Rome, très fortement marquée par une influence classique.
C’est un modèle de façade écran, ponctuée de colonnes et pilastres pour les lignes verticales et de corniches pour les lignes horizontales, traditionnelle division par 3.
Au pied de la façade, à gauche et à droite, deux pyramides tronquées sont accolées aux murs latéraux.
Cette façade est construite en belles pierres, très dures, raison de son bon état de conservation, sans restauration, seuls quelques joints ont été refaits. Très beau travail de sculpture.
Au 1er niveau : surface unie dans laquelle s’ouvre la porte d’entrée. A droite et à gauche, six pilastres de style corinthien.
Un entablement sépare le 1er et le 2ème niveau, sur lequel figurent le nom du constructeur et la date d’achèvement de l’église.
A droite et à gauche des pilastres, guirlandes de fruits d’où se dégagent des anges ailés qui soutiennent 2 cartouches : à gauche, le timbre du cardinal de Sourdis (pot à feu/urne), à droite son blason.
Le 2ème niveau : au centre, une niche aménagée dont le centre est orné d’une guirlande de fleurs, une statue de la Vierge tenant l’enfant Jésus : très belle réalisation en pierre de Taillebourg.
Le 3ème niveau : un fronton arrondi soutenu par de grandes volutes supportant des pots à feu (des urnes enflammées symboles de l’ordre des Chartreux signifiant la foi). Au centre dans un cartouche de grande taille, les armes du cardinal de Sourdis (avec chapeau de cardinal)
La croix figurant dans le cartouche du 1er niveau n’est pas la croix de Lorraine mais celle d’Anjou, emblème du Duc d’Anjou, le bon roi René qui épousa l’héritière de la Lorraine. Nous la voyons également au 3ème niveau, au-dessous du chapeau de cardinal dans le cartouche.
L’ordre des Chartreux issu de l’ordre des Bénédictins est un ordre particulièrement austère, fondé en 1084 suivant la règle de St Benoît. Agriculteurs, leur mission fut d’assainir les marais. Leur territoire est immense. Dans la partie nord, un bâtiment très important, l’école des Frères Chartreux, une grande Pharmacie très célèbre, alimentée par les cultures de plantes médicinales des frères et l’Hôpital St Charles plus grand que l’hôpital St André. A la place du cimetière, il y avait d’immenses jardins près du ruisseau du Peug (jardins, arbres fruitiers, vignes, charmilles, il y avait également des chevaux avec manèges équestres). C’était un ensemble agricole très important. L’architecte Bordes en 1850 a dressé la carte des bâtiments existants encore à cette époque : pharmacie, école des frères détruits à la Restauration.
Intérieur :
La nef unique est voûtée en berceau avec 6 fenêtres. Les lignes sont sobres, les murs sont plats, il n’y a ni pilastres, ni corniches.
Les murs de pierres et la voûte de briques sont décorées de fresques remarquables en trompe l’œil réalisées par le peintre italien Berinzago de 1769 à 1772.
De considérables travaux de restauration de ces fresques ont duré 4 ans de 1999 à 2003 : fissures, gouttières, peinture pulvérulente à fixer…Les peintres n’ont restitué que les parties dont on est sûrs, ce qui explique certains blancs laissés en cas de doute sur le dessin original. Cependant on ne peut être tout à fait certain que les couleurs fixées sont celles d’origine car 2 précédentes restaurations ont eu lieu en 1836 et 1865.
L’ensemble des fresques est dans les tons bistre, ocre, brun et bleu en respectant la patine du temps.
Sont peints en trompe l’œil : un ensemble de galeries partant dans tous les sens, des arcades, corniches, stèles supportant des statues, au sommet de la voûte un dôme et un lanterneau avec un vitrail donnant l’illusion de voir le bleu du ciel par transparence. Selon notre emplacement dans la nef, son orientation est modifiée.
L’artiste lombard qui a réalisé ce superbe décor de style italien, Berenzago, a travaillé 20 ans à Bordeaux où il a, en plus de St Bruno, réalisé des peintures qui sont conservées au Grand Théâtre et à l’Hôtel de Ville.
Le dallage est fait de carreaux de marbre rose et gris. Dans l’allée centrale, 2 grandes dalles noires au milieu de l’église indiquent le caveau de la famille de Gasq et des Chartreux. Devant le chœur, le caveau de François de Sourdis.
Le sanctuaire :
Ensemble réalisé entre 1668 et 1672, mesure 10 m de longueur, pavé de carreaux de marbres de forme et de couleur très variée. Profusion et variété des ornements décoratifs, marbre de diverses couleurs, grande accumulation de richesses religieuses et artistiques. Bords incurvés comme dans un théâtre.
L’orgue se trouve derrière le chœur.
L’autel : lignes très galbées en marbre de diverses couleurs, vert, gris, incarnat, les marches en marbre blanc.
Le retable à trois étages. Le 1er étage dédié à la Vierge Marie, tableau dans un cadre de marbre noir, il représente l’assomption de la Vierge Marie peint par Philippe de Champaigne en 1673, probablement le dernier tableau qu’il a signé avant sa mort en 1674. C’est une très belle œuvre, teintes froides, lumière bleutée. 2 colonnes encadrent le tableau, au-dessus 2 anges sculptés dans la pierre, ils tiennent une couronne pour glorifier la Vierge. Le 1er étage se termine par un fronton.
Le 2ème étage est occupé par un tableau sur toile représentant l’Esprit Saint sous la forme d’une colombe. Il est encadré de marbre noir soutenu par 2 ailerons sculptés.
Le 3ème étage : fronton arrondi avec le Père Éternel; au-dessus, deux anges de grande taille encadrent la croix du Christ. Ainsi sont évoqués les 3 personnes de la Trinité, le Père, le Fils (la croix) et le St Esprit (la colombe). Le crucifix sculpté est de Jean Girouard.
A gauche et à droite de l’autel, 2 magnifiques statues : la Vierge Marie, œuvre de Pietro Bernini père, l’Ange Gabriel réalisé par le fils Giovanni Bernini . On les date d’environ 1620, commandées par le cardinal de Sourdis à l’occasion d’un voyage qu’il fit à Rome.
Ces statues sont de très belles pièces, aux traits fins, le sourire, la joie, la piété éclairent l’ange Gabriel, la Vierge est remarquable de douceur, chevelure frisée, superbes draperies, guirlandes de fleurs tenus par des rubans.
Les anges qui servent de supports aux statues sont du sculpteur Jean Girouard.
Parties latérales du sanctuaire :
soubassement constitué par une très riche mosaïque faite d’éléments de marbre noir, incarnat qui jouent avec la pierre blanche avec des formes variées , rectangles, ovales, losanges, soubassement interrompu par des portes donnant accès à droite à la sacristie et à gauche à la chapelle funéraire de la famille de Sourdis.
On remarque 2 sièges de marbre encadrés d’accoudoirs formés par de grands aigles aux ailes déployées.
Les autres statues du sanctuaire :
St Joseph, St Jean Baptiste avec un mouton de Jean Girouard ; St Bruno, St Charles Borromée en marbre de Lorenzi.
La table de communion : en marbre blanc veiné de noir reposant sur une balustrade, les balustres d’incarnat alternent avec des supports de même matériau sur lesquels étaient sculptées les armes du cardinal qui ont été martelés pendant la Révolution.
La chapelle funéraire de la famille Sourdis dont une porte ouvre dans le chœur. C’est là que se trouve le tombeau de François Charles d’Escoubleau , marquis de Sourdis, neveu du cardinal mort en 1707, de Marie Charlotte Béziade d’Avaray morte en 1691. Le marquis fut commandant en chef de la province de Guyenne. C’est en 1691 qu’il fit élever ce tombeau monumental en souvenir de sa femme morte jeune. Deux bustes encadrent le temps, à droite la marquise à gauche celui du marquis. Travail de sculpture admirable : collerette en dentelle, cheveux qui flottent sur les épaules…, représentation de la mort effrayante.
Les boiseries : elles sont très belles et très fines et formaient un magnifique ensemble de 50 stalles, dont une partie est aujourd’hui à la cathédrale St André, il en reste 14 avec sièges de miséricorde, têtes sculptées en chêne, très belles sculptures.
Tableau de St Bruno : considéré comme l’une des plus belles toiles de Bordeaux, attribué à Guy François du Puy : St Bruno à genoux en extase, grande intensité de foi et de piété, grande qualité dans la forme de la main et des doigts.
Chaire : (à droite) Très belle réalisation en bois, les 4 évangélistes y sont sculptés.
Très belle statue de la Vierge à l’enfant avec un très beau drapé.
De chaque côté 13 toiles, copies de l’œuvre d’Eustache Le Sueur représentant la vie de St Bruno (les originaux sont à Paris). Certaines sont très abîmées, projet de restauration en cours. Ces toiles ornaient en 1650, le cloître des Chartreux.
De nombreux renseignements sur les artistes, sculpteurs et peintres, dates et prix nous sont connus grâce aux livres de comptes conservés dans les archives des Chartreux.
Le Cimetière de la Chartreuse
Suite l’appropriation des biens du clergé lors de la révolution, un cimetière est créé en 1791 sur l’enclos du couvent des Chartreux.
Du couvent ne subsiste aujourd’hui que la porte d’entrée du cimetière.
Il fait environ 26 ha, c’est le plus ancien de Bordeaux et est classé au titre des monuments historiques depuis 1921.
Il accueille toutes les personnes quelle que soit leur confession religieuse.
Jusqu’en 1800, on enterre les morts dans une fosse commune.
En 1804, un architecte urbaniste Mr Shana propose de créer de grandes allées, plantées d’arbres et entourer le cimetière de murs.
1805 : les premières tombes à l’entrée du cimetière, ce sont plutôt des sarcophages comme à l’antique.
1850 : tombes sont souvent des chapelles art déco de familles aisées.
Les principaux monuments funéraires sont d’architectures diverses : sarcophages, mausolées, chapelles, caveaux familiaux, pyramides, sculptures funéraires.
Tombes vues lors de notre visite (photos interdites)
Le mausolée Crozatier : une immense statue d’inspiration grecque, représentation de la mort païenne qui date de 1927, avec deux inscriptions latines : « La mort est l’aboutissement de tout » ET » Profitons de la vie « .
Famille Ravez (1770/1849) :
Auguste Ravez magistrat mort en 1849, ministre de Louis Philippe, il fut président de la chambre des députés de 1819 à 1827.
Famille Verthamon (1746/1809) : Jean-Baptiste de Verthamon était président du parlement de Bordeaux en 1770.
Tombeau avec petite stèle funéraire ayant la forme d’une colonne voûtée ou d’un pilier quadrangulaire, surmonté d’une colonne massive elle-même décorée de rosettes, rubans et draperies.
Famille Guibert :
Le tombeau édifié en 1814 pour le constructeur de navires Pierre Guibert. Sur la façade principale du sarcophage, un médaillon de bronze évoque l’activité professionnelle de la famille.
Guillaume de Marmiche (Mirieu de Labarre) :
Mausolée de style néo-classique érigé en 1837 par le négociant Guillaume Marmiche suite au décès de sa jeune épouse Palmyre Perillat. Temple aux colonnes doriques.
Mme la Maréchale MOREAU (1763-1821) :
Ce monument en pierre calcaire a la forme d’un petit temple antique, érigé après le décès de la Maréchale Moreau en septembre 1821.
Le cœur de son époux, le Général Moreau, mort en 1813 en combattant l’empereur Napoléon Ier dans les rangs de l’armée russe, a été déposé à côté de sa dépouille.
Famille Charles Delacroix :
C’est la 1ère célébrité à y être enterrée en 1805. Membre de la Convention, ministre des affaires étrangères, préfet de Marseille puis préfet de Bordeaux. Buste en marbre sculpté sur son tombeau (par Chinard artiste lyonnais).
Il était le père du célèbre peintre Eugène Delacroix
Flora Tristan (1803-1844) :
Féministe, elle fût à l’origine de l’émancipation féminine et apologiste du divorce et l’amour libre.
En 1843, elle a sorti un livre « L’Union Ouvrière » où elle définit la lutte des classes.
Elle était par ailleurs la grand-mère du peintre Paul Gauguin.
Francisco Goya ;
Peintre exilé d’Espagne qui a vécu et est décédé à Bordeaux, inhumé d’abord dans ce cimetière, en 1899, son corps (sans la tête) a été transféré à Madrid.
Pour perpétrer son souvenir, la ville de Bordeaux, en 1928, a fait ériger un cénotaphe (colonne-monument) près de sa tombe initiale.
Jean Catherineau (1802-1874) :
Il s’illustra dans la construction navale. Son impressionnant mausolée représente une faucheuse coiffée d’un linceul qui est perchée sur un rocher au pied duquel un navire fait naufrage.
L’épitaphe proclame « Par la science et l’intrépidité, le marin peut longtemps braver les tempêtes de l’océan mais il est un écueil contre lequel il doit fatalement se briser : la mort ».
Quelques autres célébrités bordelaises inhumées dans le cimetière de la Chartreuse :
– le sénateur et médecin Portman.
-Lafaurie Monbadon maire de Bordeaux au début du 19ème siècle de 1805 à 1809.
-Duffour Duverger maire.
-Alfred Daney maire de Bordeaux à 3 reprises entre 1884 et 1908.
-Camille Godard 1823/1881 négociant qui avait légué sa fortune à la ville de Bordeaux.
-Antoine de Grassi 1753/1815, médecin des épidémies (variole), président de la Sté de médecine, administrateur de l’Institut des sourds et muets. A contribué à améliorer les conditions de vie des prisonniers du Fort du Hâ.
-les Buhan négociants avec Dakar et assureurs pour les navires.
-Léo Drouyn 1816/1896 architecte, dessinateur, graveur et archéologue.
-Les Pichon Longeville négociants en vin (Pauillac).
Photos Alain Caminade, Jean Noel.
Organisation et récit Annie Charlier, Annick Remazeilles.
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