L’Inde éternelle : le Rajasthan pays des Seigneurs
Nous voici enfin débarqués à Delhi…dans le brouillard et une forte odeur de pollution et d’épices. Notre guide Vishal nous accueille avec un collier de fleurs fraîches d’oeillets d’inde : « namaste », bienvenue en Rajasthan, pays des seigneurs, pays des maharadjas, mélange indescriptible de Moyen-Âge et de modernité…des ethnies, quelques millénaires d’histoire, des religions…
Dès l’aube suivante, départ pour la province de Shekhawat : dans le nord-ouest, resté longtemps à l’écart des routes du voyageur moderne où les hommes portent encore de belles moustaches et de superbes turbans flamboyants. 265km d’une longue route poudreuse dans la steppe ocre, aux confins du désert, où les arbres tendent au ciel leurs moignons nus…pour découvrir le village typique de Mandawa : un tohu-bohu de belles demeures massives aux toits plats, les havelis où les femmes vivaient à l’abri des regards. Des fresques splendides évoquent l’époque bénie des caravaniers apportant la prospérité, chameaux à l’amble, éléphants richement caparaçonnés avec leur nacelle d’or. Tout au long, des balcons, des loggias, des frises, des festons, les sculptures des havelis tissent un labyrinthe de dentelles….
Une musique laconique traditionnelle accompagne notre dîner puis nous découvrons avec émerveillement nos chambres. Qui de nous avait la plus spacieuse, la plus grandiose, c’était magique. Chaque soir était une surprise, un enchantement, un dépaysement total…
  
Le voyage se poursuit vers Bikaner, nous découvrons l’Inde profonde aux confins du désert du Thar. Avec nonchalance, les hommes débarquent fruits et légumes, élaborent des pyramides gigantesques, des cacahuètes sont déversées dans des paniers en osier, pendant que les femmes vêtues de chatoyants saris entassent les bouses de vache sur les bas-côtés de la rue…séchées, elles serviront de combustible ; le va-et-vient des carrioles que l’on décharge cause d’énormes embouteillages, scènes immuables sous de grands panneaux publicitaires. Plus loin, les vaches sacrées bloquent le trafic incessant… elles sont les amies des Dieux : leur lait nourrit la famille, leur travail dans les champs fournit le blé et le riz, c’est un bon placement, sacrées certes mais bien utiles.
Bikaner, ancienne capitale princière du XVème siècle, s’élève sur un petit plateau dans la steppe : on croirait voir un château de sable sur un piton. Le fort de Junagarh semble hanté par la mémoire de la chevalerie, du temps où la mort était préférable au déshonneur. A l’intérieur, des petites mains « des satis » infortunées épouses royales contraintes de s’immoler sur le bûcher, figurent sur une porte et sont toujours vénérées par la population. Dans une cour, deux indiens majestueux dans leurs costumes chatoyants vont nous initier à l’art du turban : facile! Il suffit d’enrouler savamment 6 mètres de tissus autour de la tête et de le fixer ; Annick s’est porté volontaire pour jouer au mannequin. Bravo!!!
Après la visite du musée Gangajublie qui abrite de superbes collections de maharadjas : palanquins, armes, nous visitons le marché local  en tuk-tuk… la vie quotidienne reprend ses droits et nous surprend tout de même : au milieu de détritus où se prélasse un cochon rose, d’objets hétéroclites, d’appareils d’une autre génération, les hommes s’affairent souriants, gais, heureux, ils s’interpellent d’un chantier à l’autre, un vrai capharnaüm…impensable en occident, invraisemblable, il faut le voir pour le croire.
La brume de l’aube arrondit les formes du vieux temple de Karni Mata sur la route de Jodhpur, où errent des pensionnaires bien étranges : une multitude de rats sacrés qui grouillent et se faufilent entre nos pieds à la recherche d’offrandes.
  
Puis c’est la découverte du fort Mehrangarh : pour peu que se découpe aux fenêtres du palais un serviteur enturbanné, souriant derrière ses belles moustaches, le cliché vous replonge 500 ans en arrière dans les délices d’une vie de cour.
Dans un patio extérieur : silence  on tourne…quelques scènes de cinéma Bollywood sont filmées sous nos regards ironiques.
A 260km, le lendemain, nous découvrons une ville de fable, Jaipur la ville rose, turbulente capitale du Rajasthan : une composition raffinée de balcons, fenêtres et loges en grès rouge fait de l’Havamabal, le palais des vents, un des lieux les plus exotiques. Comme dans les coulisses d’un théâtre, les femmes de la cour pouvaient regarder passer les maharadjas et observer la vie de la rue sans être aperçues.
Le soir, on dîne autour d’un brasero dans le patio d’un magnifique palais ; précédés d’une musique aigre de flûtes et tambourins, des danseurs se dandinent lascivement encadrant une jeune et belle indienne : il suffisait de capter son regard, dans de grands et expressifs yeux noirs pour y voir tout le pays…. tous les enseignements transmis depuis des milliers d’années. Le santal qui brûle dégage un parfum agréable, hommage à Shiva le terrible, à Vishnu dieu conservateur et à Brahma le créateur : un moment de grande et intense religiosité où les mots sont de trop…danse indienne, poésie en mouvement.
Les remparts du fort d’Amber sont couverts d’éclatantes bougainvillées. Sous les arches alvéolées le soleil dessine au travers des claustras de marbre une mantille de lumière. Les singes espiègles et chapardeurs vivent aux abords du palais, ils sont sacrés pour les Hindous mais taquinent ceux qui les approchent. Au bas de l’éperon rocheux la ville moderne gagne sur le désert.
  
De retour à l’hôtel, je suis invitée, toque de chef sur la tête à concocter un plat indien : « le tikka » poulet au curry. Les rires et les plaisanteries qui fusent et résonnent dans la cuisine attirent les curieux, les appareils photos libèrent leurs flashes.
Le lendemain l’agitation est à son comble ! Le jour J approche, nous sommes sur la route du Taj Mahal et comme pour nous faire patienter une vision, quelque chose d’irréel : au ras de la plaine sur une éminence rocheuse on aperçoit Fatehpur Sikri, hommage aux saints soufis, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, la capitale de l’empereur mogol Akbar intacte! Agra fut une très belle ville à l’époque et connut son apogée au XVIème siècle ; aujourd’hui le fortrouge et le Taj Mahal font sa renommée. Le nord de l’Inde est surplombé par la majesté du Taj Mahal, un chef d’oeuvre universel, tout ce que l’on peut dire ne peut exprimer ni sa valeur ni sa beauté : symbole et emblème de l’amour absolu, exemple unique de symétrie se fondant dans une harmonie parfaite, le soleil couchant colore la rivière de vieux roses, les roches noires brillent, de nombreuses embarcations effectuent la navette d’une rive à l’autre. c’est en passant sous l’arcade d’un monumental portail que nous découvrons la plus belle perspective du Taj mahal : au fond du jardin, au bout de deux allées latérales plantées d’arbres majestueux. Rien n’illustre mieux le symbole de l’âme reposant au paradis que cet extraordinaire mausolée de marbre blanc. Sur ses murs les versets du Coran, arabesques florales géométriques composent ce magnifique ensemble raffiné, 4 minarets légèrement inclinés vers l’extérieur parachèvent l’élégance de la perspective. Le jeu d’ombre et de lumière rehausse encore la beauté du tombeau de Mumtaz.
  
La réalité reprend ses droits avec la visite privée du musée Kohinoor. Nous sommes béats devant toutes ces splendeurs et en admiration devant la pièce maîtresse : le Bon Pasteur et son troupeau de brebis, une tapisserie exécutée en 18 ans!
Après le raffinement du Taj Mahal, le fort d’Agra nous révèle la puissance de cet empire. Une imposante enceinte de grès rouge défend la Citadelle Impériale, une ancienne rampe à éléphants dessert le palais ; les jardins ordonnés, vaste cour ornée de hauts piliers où nous nous livrons à une séance de photos avec notre guide Vishal.
Sur la route qui nous conduit à Delhi, toujours le même encombrement, chameaux tirant de lourdes cargaisons, vaches sacrées traversant lentement la chaussée, marchés animés et bruyants où odeurs et couleurs font de l’Inde l’univers des mille et une nuits…
Dehli la capitale, ahurissant mélange de tradition et de modernisation, hante les sens : parsemée de mosquées, de temples, de tombeaux et monuments de tous styles est le siège du gouvernement central et résume les aventures dont cette ville a été le témoin pendant des siècles.
Il est temps de rejoindre Delhi Airport….il est 1h20.
J’ai aimé l’Inde : elle représente la dignité, le courage, la joie de vivre. l’air vibre de 1000 échos… ses modes de vie, ses habitudes, ses traditions ne sont pas comme ailleurs tombés dans le folklore. Ils sont actuels, vécus, permanents, sans artifice, dans une unité profonde.
Kipling ébloui comme tous les voyageurs dépeint l’Inde :
« un travail d’anges et de géants ».
Jocelyne Fraix Burnet