Voyage au pays du « Cuba-Libre » !

Quelle ironie de baptiser « cuba-libre » le fameux cocktail cubain, alors que le pays est sous le joug de la dictature castriste depuis 55 ans ! Serait-ce, pour ses inventeurs, une manière de conjurer le mauvais sort ?
Quand il entre à Cuba, le touriste est très surpris par l’originalité de la publicité locale. Ici, point de panneaux publicitaires à défigurer les abords des villes et les campagnes ! Non ! Place aux slogans de Che Guevara et Fidel Castro vantant les valeurs et les mérites de la révolution ! Multipliés à l’infini, leur prégnance indispose à la longue ! Même les murs des ateliers d’État, notamment les fabriques de cigares qui font la réputation du pays, n’échappent pas à cette engeance. Les valeurs de la révolution seraient-elles à ce point dévoyées qu’il soit  si souvent nécessaire de les rappeler au bon peuple ?


La découverte que l’on fera par la suite de l’étendue de la misère et des limites de la liberté permettront de mieux comprendre.Pour le touriste, cela ne retire rien au charme du pays ! Passés les moments d’angoisse pour une valise en retard ou un dossier égaré, Cuba nous saisit tout entier !
Par sa chaleur moite, d’abord, qui nous enveloppe et nous surprend, nous qui avons quitté Bordeaux sous le froid. Par sa population, ensuite, impassible, voire passive, rien ne semble devoir la perturber. Le cubain ignore que le temps c’est de l’argent ! Qu’il travaille plus, ou moins, il est vrai que le salaire est le même pour tous. Alors on découvre des situation abracabrantesques, comme celle du médecin reconverti en chauffeur de taxi. Le tourisme nourrit mieux son homme. Et le « système D », devenu une marque de fabrique, que chacun adapte à sa façon. Oui mais  l’État veille et prélève sa dîme ! Présent dans tous les secteurs d’activité, il s’octroie une quote-part sur toutes les transactions, même sur celles qui sont hors la loi. Un comble !
Et il sait par ailleurs rentabiliser à son profit les sources de revenus importants ! Ainsi, le tourisme est un quasi monopôle d’État. Trois grandes agences de tourisme exercent sur le territoire à l’abri de la concurrence, deux sont rattachées au ministère du tourisme et une au ministère des armées. Celle qui nous fait découvrir l’île est rattachée au ministère des armées et notre guide, une femme, est militaire civile ! Nos devises vont servir à payer des fusils aux soldats cubains !

Au fur et à mesure que nous le pénétrons, nous découvrons un pays plein de contrastes. La partie Ouest offre des paysages superbes, mais plus arides et  moins boisés. La partie Est, avec ses palmiers, ses cocotiers et ses bananiers noyés sous une végétation luxuriante, n’est pas sans rappeler l’Afrique. La population est très diversifiée, elle aussi, et plus on se dirige vers l’Est, plus la couleur de peau s’assombrit. A l’Ouest la couleur  café au lait qui caractérise les mélanges créoles prédomine, alors qu’à l’Est on retrouve le noir ébène que les anciens esclaves africains ont légué à leurs descendance !

Les moyens de transport sont très hétéroclites et très limités. Le chemin de fer est inexistant. En dehors des cars réservés pour les touristes, il n’y a pas de moyens de transports en commun dignes de ce nom. Dans les grandes villes circulent quelques bus d’un autre âge. Dans les campagnes chacun se débrouille comme il peut. Le stop est très en vogue, mais les délais d’attente sont longs ! A tel point que l’État a créé les emplois de « fonctionnaires stoppeurs » reconnaissables à leur tenue » jaune défraîchi ». Ils ont en charge d’arrêter systématiquement les quelques véhicules qui passent pour y faire embarquer des passagers, sans qu’il soit possible pour leurs chauffeurs de s’y soustraire. A de rares exceptions près, aucune des voitures que nous avons vus circuler pendant notre périple, ne serait autorisée à rouler dans notre pays. C’est dire leur vétusté ! Il n’y a pas de garage, ou très peu, pour dépanner ou réparer les automobiles. Aussi, chaque propriétaire se débrouille tout seul pour les faire rouler !
Heureusement que la circulation est très réduite !
Que dire des mesures de sécurité routière ? C’est une expression étrangère au vocabulaire cubain ! Sinon comment laisserait-on circuler, aussi bien en ville qu’à la campagne, ces espèces de « bétaillères » dans lesquelles sont entassées des dizaines de personnes ? De véritables cercueils ambulants ! La gamme de véhicules de transport est complétée par de vieilles carrioles, qui tiennent debout par miracle, dans lesquelles s’agglutinent des dizaines de passagers et que des chevaux faméliques ont toutes les peines du monde à tirer. A La Havane, nous avons toutefois goûté aux plaisirs des « cocos taxis », sortes de scooters à deux passagers, embarqués dans de folles poursuites dans les rues de la capitale par des chauffeurs véritables « trompe-la-mort » ! Beaucoup d’émotions et un réel plaisir ! Quand on soutient qu’arrivé à un certain âge on devient inconscient, nous avons fait la démonstration que nous avons atteint ce stade !Le réseau routier est à l’image des moyens de transport, en très mauvais état. Le temps de transport n’est pas fonction de la distance à parcourir, mais de l’état de la route empruntée, ce qui rallonge considérablement les déplacements. C’est ainsi qu’à un moment donné, nous avons mis 5 heures pour faire 65 kilomètres.
Quant à l’hygiène, elle laisse sérieusement à désirer. Les étals des commerçants qui s’improvisent « bouchers » sont ouverts à tout vent et les viandes à débiter, posées sur des planches à peine équarries. Les mouches et autres diptères voraces y trouvent un inépuisable garde-manger. Les carcasses des animaux abattus sont transportées avec les moyens du bord (il n’y a pas de camions frigorifiques). C’est ainsi que, pendant plusieurs kilomètres, nous avons suivi un camion transportant une dizaine  de carcasses de porcs posées à même le sol d’une benne à la propreté douteuse.  Cerise sur le gâteau (si l’on peut dire !), sans doute pour rentabiliser son déplacement, le chauffeur avait pris en charge une dizaine d’auto-stoppeurs embarqués parmi les carcasses…
Bien que le pays n’ait pratiquement aucune relation avec les États-Unis, deux choses surprennent le visiteur : le sport national est le base-ball et c’est à Cuba que l’on trouve le plus grand nombre de voitures américaines….mais des voitures remontant aux années 1950/1960 !
Et elles roulent ! Nous avons pu le vérifier quand nous avons été déguster la langouste dans un restaurant privé (il y en a !) situé à une quinzaine de kilomètres de notre hôtel. Le transport s’est fait en voitures américaines bringuebalantes, donnant l’impression de rendre l’âme à chaque chaos (et Dieu sait s’il y en a eus !) et que leurs chauffeurs martyrisaient à les faire hurler pour nous démontrer leurs qualités de pilotes automobiles…L’éclairage défectueux,  par une nuit sans lune, nous a fait craindre à chaque virage de partir dans les décors. Quelle aventure mais ô combien excitante ! Et nous avons appris que les cubains, faute de trouver des pièces de rechanges adaptées, les fabriquaient eux-mêmes pour permettre à leur voiture de continuer à rouler.
La Havane, Trinidad, Cienfuegos, Sancti Spiritus, Camaguey, Holguin, Guardalavaqua. Ces villes présentent toutes des quartiers qui ont plus l’aspect de bidonvilles que d’habitations salubres. Là où les colonisateurs espagnols ont construit des habitations rappelant le style de leur pays, il ne reste que des maisons bien souvent délabrées, mal ou pas entretenues. Quel gâchis ! Mais chaque ville a sa place de la révolution où, chaque 26 juin, la population est « cordialement  » invitée à se réunir pour écouter les discours de ses dirigeants à l’occasion de l’anniversaire de la « révolution ». La Place de la Révolution à La Havane est immense et c’est là que devant des milliers de cubains résignés, Fidel Castro a tenu ses plus longs et plus virulents discours pour dénoncer les effets néfastes de l’impérialisme…
Guardalavaqua abrite pourtant un paradis:  l’hôtel où nous sommes restés toute une journée. Nous y avons découvert une plage magnifique baignée par un océan turquoise dans lequel d’intrépides baigneurs (l’eau était à 25°) ont pataugé comme des gamins dissipés. Nous y avons aussi dégusté les cocktails maison jusqu’à plus soif. Nous étions en « all inclused »…C’est là, et plus tard à Santa Maria, que des téméraires ondines ont goûté, après de longues années d’abstinence, aux plaisirs de la mer.


Cuba ambitionne d’attirer de plus en plus de touristes. Il est vrai qu’il est appelé à constituer la première source de richesse du pays. Mais quel chemin à parcourir, ne serait-ce que pour parvenir à la hauteur du Maroc, pour ne citer qu’un pays d’un niveau de vie approchant, à proximité de l’Europe ! A cet égard, ce qui a été réalisé à Cayo Santa Maria est assez phénoménal. Cayo Santa Maria est une île située à une cinquantaine de kilomètres de la côte cubaine que l’on rejoint par une route entièrement construite par l’homme pour la relier à la terre. Chez nous, on aurait érigé un pont, à l’instar de ce qui a été fait pour l’île de Ré. Ici, les cubains ont comblé la mer de gravats de toutes sortes pour construire une route sur 50 kilomètres. Et le résultat est stupéfiant ! Il nous fait arriver dans un véritable paradis ! Mais exclusivement réservé aux touristes. Les cubains de base n’y ont pas accès, les autorités craignent qu’ils en profite pour fuir leur pays et rejoindre les Etats-Unis situés à moins de 200 kilomètres.
Ce qui frappe tout au long de notre périple, c’est la place prise par la musique dans la civilisation cubaine. A chaque escale, à chaque coin de rue, dans chaque restaurant ou bistrot, on rencontre des musiciens. Dès lors qu’il a une guitare entre les mains, le cubain sait en tirer les plus belles harmonies, les plus belles musiques sud-américaines qui appellent à la danse. En bien des endroits, nous n’avons pu résister à cet appel et nous nous sommes trémoussés comme des petits fous, à en faire pâlir d’envie nos enfants et petits-enfants s’ils nous avaient vus !
Malheureusement, tout à une fin, même les plus belles choses ! Nous avons eu la chance d’être accompagnés pendant ces deux semaines, par une guide de très grande qualité, très conviviale, très sympathique, qui a su rapidement prendre la mesure du groupe et qui n’a pas hésité à partager sans réserve nos moments de folie ! Elle a eu aussi le très grand mérite de nous décrire son pays tel qu’il est, sans langue de bois. Nous lui devons un grand merci, comme nous remercions aussi notre chauffeur très disponible et très sympathique.
Ils se souviendront du groupe ANR Gironde et de son chat !
Ce fut un très beau voyage ! 
Gérard Bourachot
5 avril 2014.